GEORGES OHNET



L'AME DE PIERRE



ILLUSTRATIONS DE
E. BAYARD


1890




I

Le docteur Davidoff, d'un air inspiré, tournant vers les convivesdu prince Patrizzi son visage aux traits rudes et tourmentés,laissa, au milieu de la discussion, tomber ces surprenantesparoles:

—Et vous, croyez-vous à la puissance d'une suggestionrépétée, qui fait entrer une idée dans votre cerveau, aiguë etpersistante comme la pointe d'une vrille? Croyez-vous quecette idée puisse influer sur votre état moral, jusqu'à modifiervotre état physique, car vous me concéderez bien, n'est-cepas, que le moral a une action souveraine et décisive surle physique?...

—Nous vous le concédons, répondit tranquillement leNapolitain. Maintenant, et c'est là que je vous attends, ilfaudrait conclure...

A cette riposte, qui promettait une importante suite dedéveloppements à la proposition formulée par le médecinrusse, parmi les gais viveurs et les aimables femmes qui venaientd'achever de dîner, dans le salon de l'Hôtel de Paris,sur la terrasse de Monte-Carlo, il y eut un instant de silencieusestupeur. Autour de la table, somptueusement servie,et sur laquelle, dans la chaleur des lumières et la fuméedes cigarettes, les fleurs se mouraient asphyxiées, des regardsd'étonnement et d'ennui s'échangèrent. Puis, brusquement,protestation indignée de ces mondains arrachésà la futilité coutumière de leurs propos, et jetés dans lesaridités d'une conversation scientifique, un ouragan d'apostropheset de cris se déchaîna.

—Assez de physiologie!...

—Nous sommes ici pour boire, fumer et rire...

—C'est un cabinet particulier et point une clinique...

—Zut pour le docteur! Il est paf!

—Messieurs, je vous en prie, écoutez, c'est très curieux!

—On embête ces dames!...

—Ouvrez la fenêtre, ça pue la science!

—Moi, j'aimerais mieux être au casino... J'ai rêvé que larouge passait treize fois...

—En voilà une suggestion que le croupier t'a imposée!

—Voulez-vous danser?

—Oh! oh! Laura, assieds-toi sur le piano!

—Eh bien! mes enfants, allez où vous voudrez, maisfichez-nous la paix...

—N'insistez pas pour que nous restions! Non! Vous tenteriezvainement de nous retenir...

—En voilà des malhonnêtes!

Trois ou quatre femmes et cinq ou six jeunes gens se levèrenten tumulte et demandèrent leurs manteaux au maîtred'hôtel qui s'empressait. Patrizzi resta assis, souriantaux belles dames qui, avec de coquets mouvements, déplissaientleur jupes et cambraient leur corsage. Il tendit nonchalammentla main à ses amis et dit:

—Que chacun fasse à sa guise. Partez en avant. Dansune heure nous allons vous rejoindre...

Puis, se tournant vers le peintre Pierre Laurier, son amiJacques de Vignes et vers le docteur Davidoff, qui n'avaientpas bougé:

—Continuez donc, mon cher, dit-il au médecin, vousm'intéressez prodigieusement.

Le médecin russe jeta sa cigarette, en alluma une autre,et, regardant avec autorité ses trois auditeur, il poursuivitle récit qui avait été violemment coupé par les interruptionsdes convives maintenant éloignés.

—Je confesse que l'histoire que j'avais commencée devantnos amis est assez singulière et que, pour des sceptiques,elle manque un peu de vraisemblance; mais, dans nos paysslaves, brumeux et sombres, qui semblent vraiment la patriedes spectres et des fantômes, elle n'aurait pas soulevé lamoindre incrédulité.... La moitié de nos compatriotes secompose de Swedenborgistes inconscien

...

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