LES
TROIS PIRATES

PAR
ÉDOUARD CORBIÈRE,
AUTEUR DE
LE NÉGRIER.—LE BANIAN.—LES ASPIRANS, ETC.

II

PARIS
WERDET, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
49, RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIN.

1838

VII
RAPPORT DE MAITRE BASTRINGUE.
(Suite.)

«Quand finalement nous fûmes rendus aux environsde la côte de Guinée, mon second, qui réglaità ma place la route dont je n'avais pas lapratique, s'en vint m'avertir avec subordination,que je me trouvais rendu à peu près où j'avaisvoulu me rendre. Je lui demandai comment onpouvait appeler les parages où nous nous trouvionssur la carte marine. Il me répondit: Capitaine,ça peut s'appeler l'île du Prince.

—Et ne voit-on pas quelque chose au large?lui ripostai-je, pour voir ce qu'il riposterait lui-mêmeà cette question. Quelque chose, vousm'entendez bien, les enfans; le quelque chosedont la sorcière m'avait soufflé le mot, il y avaitdéjà deux ou trois mois.

—Mais, mon capitaine, me répondit le second,on ne voit rien autre chose, sauf le respect queje vous dois, que l'île dont je viens d'avoir l'honneurde vous réciter le nom.

«Il n'y avait pas deux minutes que je venais decauser de cette manière avec mon second, quin'entendait pas trop ce que je voulais lui dire,que la vigie du grand mât se mit à crier: Navire!

—Où, navire? que je demande en sautant immédiatementsur le pont, les cheveux tout écouvillonnéssur la tête.

—Sous le vent à nous! là! capitaine, à environtrois bonnes lieues, s'écria l'homme de lavigie.

—Est-il gros?

—Mais il paraît entre les deux, ni trop gros,ni trop petit.

—Oui, entrelardé? n'est-ce pas, l'aveuglé! Etne vois-tu pas quelque chose à côté de lui?

—Si, je crois effectivement voir quelque chosepas loin de lui; le soleil d'abord, et puis commequi dirait une espèce ou une manière de pavillonembrumé, qu'il aurait sur son arrière.

«A ce mot d'avertissement que l'homme dela vigie croyait voir quelque chose sans compterle soleil qui lui crevait les yeux, je me distout d'un trait: ce quelque chose là ce ne peutêtre que mon affaire; et je commande au timonnierqui était à la barre, de laisser arriver endépendant sur le navire qui se voyait sous levent à nous et qui commençait à torcher de latoile pour me laisser en plan le plus tôt possible.Mais au bout de trois heures de chasse forcée,je vous engante le fuyard, et me v'là dans seseaux, paré à lui brûler la moustache à demi-portéede pistolet d'arçon. C'était un brick-goëletteun tant soit peu moins corsé que leGénéral-Sucre, qui sentait de près la sueur denègre à plein nez et à faire mal au cœur, maisplaisir à la bourse. Il fit d'abord semblant devouloir se préparer au combat. Ah mais, c'estlà que je n'avais plus besoin de demander desidées à personne! Attrape, que je commandai,à saler les côtes à ce vil basardeur (marchand)d'esclaves. Tel fut mon seul discours à l'équipage.En deux ou trois volées très gentilles, ilen reçut, ce pauvre bigre de brick-goëlette,dix fois plus qu'il ne pouvait en porter, tanten boulets, mitraille et biscayens, qu'en grappesde raisin, quartiers de melons, paquets deballes et autres ingrédiens de même qualité supérieure.Tout craquait et déménageait à sonbord comme s'il avait eu des sacs de noix tombantesdans son gréement et le tremblementdu tonnerre dans sa membrure. Par pitié poursa carcasse et par humanité pour son capitaine,mon confrère, je

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