L'illustration, 3256, 22 Juillet 1905


(Agrandissement)



LE "FARFADET" DANS LE BASSIN DE SIDI-ABDALLAH
Larecherche des corps des victimes, d'après un croquis pris dans la nuit
du 15 au 16 juillet. Voir l'article, page 68.


COURRIER DE PARIS

Journal d'une étrangère

Ce drame du Farfadet n'aura pas été pour nous qu'un affreux cauchemarde deux semaines: il laissera, ce me semble, dans l'esprit des bravesgens qui réfléchissent, le souvenir d'une très douloureuse leçon...Vraiment notre science a d'étranges lacunes et nous sommes un peu tropfiers, peut-être, des victoires qu'elle nous aide à remporter, çà et là,sur la vie. Elle a réalisé, cette pauvre science, des tours de forcedont la vue nous stupéfie; et c'est pitié de voir éclater tout à coupson impuissance en face de problèmes dont il semblait que la solution nedût être qu'un jeu pour elle...

Nous avons fait de la vapeur et de l'électricité nos esclaves, trouvédes remèdes géniaux aux maux humains; nous avons inventé le téléphone,le cinématographe et la télégraphie sans fil; nous saurons demain,peut-être, diriger un aérostat dans la tempête; nous photographionsl'invisible; nous creusons sous les montagnes des tunnels de dix lieueset nous nous entre-tuons, sans nous voir, à quinze kilomètres dedistance. Tout cela est beau. Mais qu'une embarcation, large comme unbateau de pêche et où quinze hommes à peine peuvent tenir, glisse aufond de l'eau, dans un peu de boue, et voilà notre génie désarmé. La merest calme comme un lac; à cinq cents mètres du bateau disparu, unarsenal offre aux naufragés le secours d'un outillage formidable; ons'empresse, on met en oeuvre toutes les compétences, tous les courages;et, pendant ce temps, quatorze créatures humaines, qu'on ne peut sauver,agonisent, meurent de faim, de soif, d'asphyxie. Il faut travailler huitjours pour amener à fleur d'eau cette coquille de noix. Huit jours... Apeu près, je crois, le temps qu'on met aujourd'hui pour aller du Havre àChicago!...


... A l'occasion du 14 Juillet, quelques anciens soldats viennent d'êtredécorés de la médaille militaire. J'ai lu dans les journaux la liste deleurs noms. Ils sont quatorze. La plupart d'entre eux sont descombattants de 1870 qui ont attendu pendant trente-cinq ans que legouvernement daignât s'intéresser à eux, reconnaître leurs services etles récompenser. Encore ceux-là n'ont-ils pas trop sujet de se plaindre;ce sont les favorisés, sur qui la République «avait l'oeil». A côté deces chançards, j'en rencontre deux, en effet--nommés Caseneuve etMarchand--qui, simples soldats, furent «retraités pour blessures reçuesau siège de Sébastopol, en juillet 1855». Ce sont aujourd'hui de pauvresvieux. Depuis cinquante ans, silencieusement, ils guettaient larécompense espérée; elle n'arrivait pas vite; ces troupiers n'avaientsans doute ni sénateurs ni députés dans leurs familles. Caseneuve etMarchand donnent un bel exemple de patience à la jeunesse. Ils sont lapreuve que tout arrive, même les choses qu'on a fini de désirer.

Mais comment ces aventures comiques sont-elles possibles? L'Étatn'ignorait ni l'existence ni les titres de Caseneuve et de Marchand,puisque, depuis un demi-siècle, il les pensionnait. Qu'

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