PIÈCE ARCHI-COMIQUE
EN UN ACTE
MONTRÉAL
CHARLES PAYETTE, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
Rue St. Paul No. 250.
1873
PERSONNAGES
M. LEFÈVRE, vieux tailleur.
MAD. LEFÈVRE, sa femme. (Joué par un jeune homme.)
GUILLAUME, entrepreneur, leur neveu.
RÉMI, ouvrier de Guillaume.
Le théâtre représente une chambre, sur le devant de lascène une table, sur laquelle est un paquet dans un mouchoir,un journal. Au lever de la toile, madame Lefèvre coudou tricote, au fond, est un havre-sac militaire, pour Rémi.
MADAME LEFÈVRE (seule)
Sept heures viennent de sonner à l'Église St. Eustache!bon! Tout est prêt; voici le pantalon raccommodé et la vestedu petit Guguste Coquelard, quand M. Lefèvre, mon mari,aura fait sa barbe, il ira porter ce paquet et se fera payer...Eh bien! C'est comme ça qu'on fait ses affaires, on travaille,on gagne de l'argent, on ménage et on vit comme les autres,surtout quand la femme est maîtresse, car ne me parlez pas deces femmes qui se laissent marcher sur le pied par leursmaris?... Pouah!... Je n'en suis pas; Nous portons le jupon,mais il faut montrer aussi que nous savons porter la culotte...J'ai accoutumé M. Lefèvre comme ça et ma foi, il n'en est pasplus à plaindre!... Ah! voilà le journal de ce matin, voyonsdonc un peu ce qu'il nous chante ce matin; car, ma parole,ces journalistes me font suer parfois avec leurs articles qui nesont pour la plupart qu'un tas de menteries (elle lit). Heu!heu! heu!...«Faits divers. Un homme du faut-bourg saintMarceau a été condamné par le tribunal de la police correctionnelleà deux mois d'emprisonnement pour avoir battu safemme...» Oh! le monstre!... Oh! le brigand. Deux mois!...Deux mois!... C'est-y pas abominable!... Deux mois!...Mais c'était de le pendre, le gueusard, qu'il fallait faire. Env'là une justice!... Ah! j'vous dis ben, qu'pour la trouverc'te justice là, il en faudrait une fameuse lanterne... (elle lit):Heu!... Heu!... «Entreprise...» bouth! Encore une blaguepour embêter c'pauvre monde!... Ah! mon Dieu!... Ah! monDieu!... C'est-y Dieu possible!... Mais... non... Nais...oui... Mais... j'me trompe pas!... Ah ben!... Ah ben!...(elle lit.) «La seconde lecture sur la loi du divorce a été faiteet a été sanctionnée!...» Ah! brigande!... Ah! coquinsd'ministres!... Tas d'paltoquets!... Ça s'irait-y ben vrai,qu'ils auraient c't'infamie d'passer une loi aussi barbare! Criminelle!Bête! Stupide! horrible comme celle-là! Ah! les malheureux!...Y z'en sont ben capables, car, dans le siècle oùnous sommes y a pus d'moeurs!... Pus rien!... Ah! ben,c'est pour le coup, qu'mon mauvais sujet d'Guillaume, monneveu va être content, lui, maître entrepreneur qui aurait étési heureux avec sa femme ma pauvre nièce Thérèse... Maisle renégat, il passe ses nuits et ses jours au cabaret!... Ah!Ciel de Dieu!... Quel siècle! quel siècle! Ah! mais un instant...nous sommes là!... Écoutez, mes chères petites Dames,si vous voulez m'en croire, on se rendra à la chambre de cespaltoquets de ministres, on leur z'y dira: Vous êtes un tasde chenapans, remettez votre diable de loi dans votre poche etne nous en parlez plus, ou, foi de femmes, nous allons vousfaire danser une girandole dont vous vous rappellerez!... Oui,mes chères petites Dames, montrons leur que nous portons laculotte, et, foi d'Ursule Lefèvre, je me mets à votre tête etvous verrez... Mais j'entends marcher... Ah! c'est le p'titRémi, l'ouvrier d'mon mauvais sujet de neveu.