Pierre VEBER

PENSÉES
D’UN
MERCANTI

PARIS
J. FERENCZI ET FILS, EDITEURS

9, RUE ANTOINE-CHANTIN (XIVe)

1924

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.

Copyright by J. Ferenczi et Fils, 1924.

Pensées d’un Mercanti

AVANT PROPOS

Le petit livre que nous présentons parut àBruxelles, il y a une dizaine d’années, sans nomd’auteur ; aucune mention d’éditeur, aucune d’imprimeriene pouvaient renseigner les curieux ; àcoup sûr, ces Pensées d’un Mercanti émanaientd’un homme de métier. Elles eurent unassez vif renom, et l’édition fut rapidement épuisée.On en publia des extraits en divers journaux ;mais il semble que le succès de cette plaquette aitdépassé les espérances du Mercanti, et, soucieuxde sa tranquillité, ne voulut-il pas exploiter uneréussite inquiétante dans l’avenir ?

A cette époque, il était encore directeur deplusieurs théâtres, situés en divers pays ; la robustesincérité de certaines pensées lui eussentattiré la rancune de confrères un peu malmenés.

Pour la première fois de sa vie, ce négociantdéterminé repoussa les dons de la fortune. LesPensées d’un Mercanti, réclamées par tous,n’eurent pas de seconde édition. Je suppose quecet homme intelligent goûtait un plaisir infini àrester sur l’impression d’un triomphe imprécis. Ilavait « fait son effet » et il rentrait dans sa pénombre,sans avoir cédé au sain désir de s’enorgueillir.Ainsi les Pensées d’un Mercanti auraientdisparu sans un incident que je me permetsde relater ; étant à Liége, où m’avaient appeléune série de conférences, je me liai avec MauriceGauchez, le plus subtil parmi les défenseurs del’esprit wallon ; un soir, après le théâtre, nous sirotionsdes cocktails, en discutant dramaturgie,lorsque Gauchez tira un petit livre de sa poche,un in-18, très soigneusement imprimé, et me letendit : « Je parie que vous ne connaissez pasça ! »

— Qu’est-ce que c’est ?

— Les Pensées d’un Mercanti, une brochurerarissime ; je vous la prête. Vous l’aurezlue en quelques minutes. Vous me direz ce quevous en pensez ?

Rentré à l’hôtel, je me mis en devoir de parcourirces Pensées ; quelques-unes me plurent, etje les recopiai pour en faire l’objet d’un article,qui parut au Gaulois.

Le lendemain, j’allai voir Gauchez et lui demandaiquelques précisions sur l’auteur de cemenu pamphlet ; mon ami me répondit : « Personnene peut dire exactement quel fut l’auteurde ces lignes : en Belgique, nous savons garderun secret. Durant une année, mes confrères s’évertuèrentà découvrir le Mercanti cynique dontla rude franchise trahissait les arcanes du métier ;ils soupçonnèrent cinq ou six personnalitésdramatiques, un directeur à prétentions littéraires,un acteur qui jouait parfois au journaliste, un auteurdont les pièces étaient régulièrement refusées,un chanoine et le tenancier d’une maison discrète,ancien normalien. Ces messieurs, flattés dans leurorgueil, se défendaient mal ; à cela nous connûmesqu’ils étaient innocents. D’ailleurs, ils eussentété trop heureux d’exploiter le volume, s’ils enavaient été les auteurs. La curiosité se lassa. Seul,je m’obstinai ; je ne voulais pas en avoir le démenti !J’appliquai au problème la vieille méthoded’investigation léguée par nos maîtres.

« L’auteur était certainement Belge ; vous

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