LE PORTIER
DES CHARTREUX

OU
MÉMOIRES DE SATURNIN
ÉCRITS PAR LUI-MÊME

AMSTERDAM

1889

LE PORTIER
DES CHARTREUX

PREMIÈRE PARTIE

Que c'est une douce satisfaction pour un cœur d'être désabusé desvains plaisirs, des amusements frivoles et des voluptés dangereuses quil'attachaient au monde! Rendu à lui-même après une longue suited'égarements, et dans le calme que lui procure l'heureuse privation dece qui faisait autrefois l'objet de ses désirs, il sent encore cesfrémissements d'horreur qui laissent dans l'imagination le souvenir despérils auxquels il est échappé: il ne les sent que pour se féliciter dela sûreté où il se trouve; ces mouvements lui deviennent des sentimentschers parce qu'ils servent à lui faire mieux goûter les charmes de latranquillité dont il jouit.

Tel est, cher lecteur, la situation du mien. Quelles grâces n'ai-je pasà rendre au Tout-Puissant dont la miséricorde m'a retiré de l'abîme dulibertinage où j'étais plongé et me donne aujourd'hui la force d'écriremes égarements pour l'édification de mes frères!

Je suis le fruit de l'incontinence des révérends pères Célestins de laville de R… Je dis des révérends pères, parce que tous sevantaient d'avoir fourni à la composition de mon individu. Mais quelsujet m'arrête tout à coup? Mon cœur est agité: est-ce par lacrainte qu'on ne me reproche que je révèle ici les mystères del'Eglise? Ah! surmontons ce faible remords. Ne sait-on pas que touthomme est homme, et les moines surtout? Ils ont donc la faculté detravailler à la propagation de l'espèce. Eh! pourquoi la leurinterdirait-on? Ils s'en acquittent si bien!

Peut-être, lecteur, vous attendez avec impatience que je vous fasse lerécit détaillé de ma naissance: je suis fâché de ne pouvoir pas sitôtvous satisfaire sur cet article. Vous allez me voir de plein saut chezun bonhomme de paysan que j'ai pris longtemps pour mon père.

Ambroise, c'était le nom du bonhomme, était le jardinier d'une maisonde campagne que les Célestins avaient dans un petit village à quelqueslieues de la ville; sa femme, Toinette, fut choisie pour me servir denourrice. Un fils qu'elle avait mis au monde, et qui mourut au momentoù je vis le jour, aida à voiler le mystère de ma naissance. On enterrasecrètement le fils du jardinier et celui des moines fut mis à saplace: l'argent fait tout.

Je grandissais insensiblement, toujours cru et me croyant moi-même filsdu jardinier. J'ose dire néanmoins, qu'on me pardonne ce petit trait devanité, que mes inclinations décelaient ma naissance. Je ne sais quelleinfluence divine opère sur les ouvrages des moines: il semble que lavertu du froc se communique à tout ce qu'ils touchent. Toinette enétait une preuve. C'était bien la plus fringante femelle que j'aiejamais vue, et j'en ai vu quelques-unes. Elle était grosse, maisragoûtante, de petits yeux noirs, un nez retroussé, vive, amoureuse,plus parée que ne l'est ordinairement une paysanne. Ç'aurait été unexcellent pis aller pour un honnête homme; jugez pour des moines!

Quand la coquine paraissait avec son corset des dimanches, qui luiserrait une gorge que le hâle avait toujours respectée, et laissaitvoir deux tétons qui s'échappaient, ah! que je sentais bien dans cemoment que je n'étais pas son fils, ou que j'aurais volontiers passésur cette qualité.

J'avais les dispositions toutes monacales. Guidé par le seul instinct,je ne voyais pas une fille que je ne l'embrassasse, que je ne luiportasse la main partout où elle voulait bien la laisser aller; etquoique je ne susse pas bien positivement ce que j

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