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LETTRES À UNE INCONNUE

par

PROSPER MÉRIMÉE

De l'Académie française

Précédés d'une étude sur Mérimée

par

H. Taine

Tome Premier

PARIS
Michel Lévy Frères, Éditeurs
3, Rue Auber, 3, Place de L'Opéra
Librarie Nouvelle
Boulevard des Italiens, 15, Au coin de la Rue de Grammont
1874

PROSPER MÉRIMÉE

J'ai rencontré plusieurs fois Mérimée dans le monde. C'était un hommegrand, droit, pâle, et qui, sauf le sourire, avait l'apparence d'unAnglais; du moins, il avait cet air froid, distant, qui écarted'avance toute familiarité. Rien qu'à le voir, on sentatit en lui leflegme naturel ou acquis, l'empire de soi, la volonté et l'habitudede ne pas donner prise. En cérémonie surtout, sa physionomie étaitimpassible. Même dans l'intimité et lorsqu'il contait une anecdotebouffonne, sa voix restait unie, toute calme; jamais d'éclat nid'élan; il disait les détails les plus saugrenus, en termes propres,du ton d'un homme qui demande une tasse de thé. La sensibilité chezlui était domptée jusqu'à paraître absente; non qu'elle le fût: toutau contraire; mais il y a des chevaux de race si bien mâtés parleur maître, qu'une fois sous sa main, ils ne se permettent plus unsoubresaut. Il faut dire que le dressage avait commencé de bonne heure.À dix ou onze ans, je crois, ayant commis quelque faute, il fut grondétrès-sévèrement et renvoyé du salon; pleurant, bouleversé, il venait defermer la porte, lorsqu'il entendit rire; quelqu'un disait: «Ce pauvreenfant! il nous croit bien en colère!»—L'idée d'être dupe le révolta,il se jura de réprimer une sensibilité si humiliante, et tint parole.Μέμνησο ἁπιστεῖν (souviens-toi d'être en défiance) telle fut sa devise.Être en garde contre l'expansion, l'entraînement et l'enthousiasme, nejamais se livrer tout entier, réserver toujours une part de soi-même,n'être dupe ni d'autrui, ni de soi, agir et écrire comme en la présenceperpétuelle d'un spectateur indifférent, être soi-même ce spectateur,voilà le trait de plus en plus fort qui s'est gravé dans son caractère,pour laisser une empreinte dans toutes les parties de sa vie, de sonœuvre et de son talent.[1]

Il a vécu en amateur: on ne peut guère vivre autrement quand on ala disposition critique; à force de retourner la tapisserie, onfinit par la voir habituellement à l'envers. En ce cas, au lieu depersonnages beaux et bien posés, on contemple des bouts de ficelle;il est difficile alors d'entrer avec abnégation et comme ouvrierdans une œuvre commune, d'appartenir même au parti que l'on sert,même à l'école que l'on préfère, même à la science qu'on cultive,même à l'art où on excelle; si parfois on descend en volontaire dansla mêlée, le plus souvent on se tient à part. Il eut de bonne heurequelque aisance, puis un emploi commode et intéressant, l'inspectiondes monuments historiques, puis une place au sénat et des habitudesà la cour. Aux monuments historiques, il fut compétent, actif etutile; au sénat, il eut le bon goût d'être le plus souvent absentou muet; à la cour, il avait son indépendance et son franc-parler.Voyager, étudier, regarder, se promener à travers les hommes etles choses, telle a été son occupation; ses attaches officiellesne le gênaient pas. D'ailleurs, un homme d'autant d'esprit se faitrespecter quand même; son ironie transperce les mieux cuirassés. Ilfaut voir avec quelle désinvolture il la manie, jusqu'à la tournercontre lui-même, et faire coup double.—Un jour, à Biarrit

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