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George SAND
A Maurice SAND
_Mon cher fils,
Tu as recueilli diverses traditions, chansons et légendes, que tu asbien fait, selon moi, d'illustrer; car ces choses se perdent à mesureque le paysan s'éclaire, et il est bon de sauver de l'oubli qui marchevite, quelques versions de ce grand poème du merveilleux, dontl'humanité s'est nourrie si longtemps et dont les gens de campagne sontaujourd'hui, à leur insu, les derniers bardes.
Je veux donc t'aider à rassembler quelques fragments épars de ceslégendes rustiques, dont le fond se retrouve à peu près dans toute laFrance, mais auxquelles chaque localité a donné sa couleur particulièreet le cachet de sa fantaisie._
George SAND.
Avant-propos
_Il faudrait trouver un nom à ce poème sans nom de la fabulosité oumerveillosité universelle, dont les origines remontent à l'apparitionde l'homme sur la terre et dont les versions, multipliées à l'infini,sont l'expression de l'imagination poétique de tous les temps et de tousles peuples.
Le chapitre des légendes rustiques sur les esprits et les visions de lanuit serait, à lui seul, un ouvrage immense. En quel coin de la terrepourrait-on se réfugier pour trouver l'imagination populaire (qui n'estjamais qu'une forme effacée ou altérée de quelque souvenir collectif) àl'abri de ces noires apparitions d'esprits malfaisants qui chassentdevant eux les larves éplorées d'innombrables victimes? Là où règne lapaix, la guerre, la peste ou le désespoir ont passé, terribles, à uneépoque quelconque de l'histoire des hommes. Le blé qui pousse a le pieddans la chair humaine dont la poussière a engraissé nos sillons. Toutest ruine, sang et débris sous nos pas, et le monde fantastique quienflamme ou stupéfie la cervelle du paysan est une histoire inédite destemps passés. Quand on veut remonter à la cause première des formes desa fiction, on la trouve dans quelque récit tronqué et défiguré, oùrarement on peut découvrir un fait avéré et consacré par l'histoireofficielle. Le paysan est donc, si l'on peut ainsi dire, le seulhistorien qui nous reste des temps anté-historiques. Honneur et profitintellectuel à qui se consacrerait à la recherche de ces traditionsmerveilleuses de chaque hameau qui, rassemblées ou groupées, comparéesentre elles et minutieusement disséquées, jetteraient peut-être degrandes lueurs sur la nuit profonde des âges primitifs.
Mais ceci serait l'ouvrage et le voyage de toute une vie, rien que pourexplorer la France. Le paysan se souvient encore des récits de sonaïeule, mais le faire parler devient chaque jour plus difficile. Il saitque celui qui l'interroge ne croit plus, et il commence à sentir unesorte de fierté, à coup sûr estimable, qui se refuse à servir de jouet àla curiosité. D'ailleurs, on ne saurait trop avertir les faiseurs derecherches que les versions d'une même légende sont innombrables, et quechaque clocher, chaque famille, chaque chaumière a la sienne. C'est lepropre de la littérature orale que cette diversité. La poésie rustique,comme la musique rustique, compte autant d'arrangeurs que d'individus.
J'aime trop le merveilleux pour être autre chose qu'un ignorant deprofession. D'ailleurs, je ne dois pas oublier que j'écris le texte