Pourquoi une préface de moi, plutôt que d'un autre? Pour la plus simpledes raisons: nos écrivains redoutent de signer les premières pages dulibre d'un autre. Moi, non pas--et voici comment la chose m'apparaît.Après avoir lu un livre imprimé, vous en faites la post-face, devant vosamis, au cours de la conversation. Après avoir lu un livre manuscrit, jedonne mon commentaire au commencement du volume.
Vous pensez, peut-être, qu'une préface doit se composer de l'éloge del'auteur, et c'est là le sujet de votre timidité, mais moi qui ne payepas toujours en compliments, je n'ai jamais songé à cet obstacle. Étantlibre de mes allures, je remplis le moule aux préfaces de ce que j'aitrouvé dans le livre.
Il y a trente ans, nous nous présentions nous-mêmes au lecteurs, attenduque n'ayant presque pas d'ancêtres littéraires, nous ne savions parquelle voie nous introduire au milieu du public.
Maintenant les jeunes se recommandent à nous: faisons aux autres ce quel'on n'a pu faire pour nous. M. J.-B. Caouette est un débutant que jevous présente parce que ayant fait la connaissance de ses vers, je lestrouve de bonne compagnie. Vous pourrez les lire sans vous compromettre.C'est un bon Canadien de plus dans notre cercle, et si, un jour, il nouséchappe pour passer à la postérité, vous ne serez ni inquiets sur soncompte ni gênés de l'avoir connu. Pour le moment, ce travailleur est aumoins estimable; saluons son arrivée sur la scène.
Si je vous disais que M. Caouette se croit un grand homme et que c'estainsi que je le considère, vous vous moqueriez de nous; c'est pourtantsur ce pied-là que l'on pose ordinairement un écrivain nouveau... àmoins qu'on ne l'exécute en le lapidant.
Parmi des vers fort bien tournés il s'en rencontre quelques-uns de toutà fait prosaïques, par exemple:
...l'oeuvre utile et salutaire
Qu'on nomme le défrichement.
Mais il y assez de bonnes pièces pour sauver les Voix Intimes d'unoubli prématuré. Le souffle religieux et national agite noblement ungrand nombre de pages, et cela suffirait pour valoir un accueilfavorable à leur auteur.
Publier un livre, c'est partir en guerre, s'exposer comme une cible,attraper les rhumatismes de la critique, recevoir des coups de lance, sefaire pincer les chaires par des balles qui ricochent sans savoir oùelles vont; mais on est rarement tué à ce métier et, le plus souvent, ony gagne de s'aguerrir et d'atteindre les plus hauts grades.
Il y a longtemps que le dicton roule de par le monde: «ce sont toujoursles mêmes qui se font tuer»--il n'y a donc pas trop de risques àcourir.--En avant les jeunes! C'est à notre tour à vous regarder faire.
BENJAMIN SULTE.
A MA FEMME
Où donc est le bonheur? disais-je.--Infortuné!
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné.
VICTOR HUGO
J'ai cherché vainement dans les bruyantes fêtes,
Où l'éclat des plaisirs éblouit tant de têtes,
Ce trésor précieux qu'on nomme le bonheur;
Je l'ai cherché d'abord sur le sol que je foule
En voulant soulever les bravos de la foule,
Et je n'ai recueilli qu'un éphémère honneur!
Pour le trouver, j'ai fait de pénibles voyages,
Franchi les flots amers, parcouru maints villages
Où la vive gaîté faisait battre les coeurs;
Mais, ô fatalité! la sombre nostalgie,