LOUIS CHADOURNE
ROMAN
Nous n’allons pas : on nous emporte.
MONTAIGNE.
ALBIN MICHEL, EDITEUR
PARIS, 22, RUE HUYGHENS, 22, PARIS
DU MÊME AUTEUR :
POÉSIE
PROSE
EN PRÉPARATION
Il a été tiré de cet ouvrage :
15 exemplaires sur papier du Japon
numérotés à la presse de 1 à 15
35 exemplaires sur papier de Hollande
numérotés à la presse de 1 à 35
100 exemplaires sur papier vergé pur fildes Papeteries Lafuma
numérotés à la presse de 1 à 100
Droits de traduction et reproduction réservés pour tous pays.
Copyright by Albin Michel 1921.
TERRE DE CHANAAN
Des philosophes ont résolu de supprimer leHasard. Un mathématicien célèbre, ayant fait salecture quotidienne de la Gazette de Monte-Carloet pointé pendant des années les statistiques de laroulette, a fort bien démontré que ce dieu fantasquen’était qu’un faux dieu et que certainsesprits d’élite étaient enfin sur une voie propre àdémasquer l’imposteur. Il n’y a pas de place ence monde où tout obéit au plus rigoureux déterminismepour les caprices d’un fantôme surgi del’imagination vulgaire, médiocre supercherie del’ignorance ; non, de place nulle part, sur la vasteétendue des continents et des mers, sous la calottecéleste, pour ce prestidigitateur qui vient à toutbout de champ culbuter nos châteaux de cartes ettirer de nos chapeaux, de nos poches et de nosvies quotidiennes une effarante kyrielle de contingenceshétéroclites.
Toutefois, malgré de si louables efforts et desraisonnements si persuasifs, je continuerai dans lesecret de mon cœur à sacrifier à ce Dieu masqué,tragique ou rieur, que je nomme très humblement,et à voix basse « le Seigneur Hasard ». J’attendrai,sans doute, pour renoncer à ma superstitionqu’une science plus exacte des probabilités ait faitde la roulette et du trente-et-quarante une opérationde père de famille. Il sera temps alors derendre honneur aux mathématiciens et aux philosopheset de tourner au mur notre divinitémoquée, ainsi que font à leurs saints quelquesbonnes gens de nos campagnes, selon qu’il venteou qu’il pleut contre leur gré.
Pour moi, Jean Loubeyrac, replié sur ma cinquantainegrisonnante, dans ce coin du Périgord,berceau de mes modestes ancêtres, où la vie couleavec la même lenteur limpide et monotone que laDordogne entre ses falaises rousses et ses rivesplantées de noyers, c’est en vain que je chercheà démêler les fils embrouillés des vici