Léon FRAPIÉ

La Maternelle

LIBRAIRIE UNIVERSELLE
33, Rue de Provence
PARIS (IXe)

1904

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR :

L'Institutrice de Province, roman, un volume in-12, chezFasquelle.

Marcelin Gayard, roman, un volume in-12, chez Calmann-Lévy.

EN PRÉPARATION :

Sulette.

Les deux Romans (Scènes de la vie littéraire).

A une femme qui est la sincère institutriceet qui, — par le privilège de l'entière bonté, — est,toute fervente aussi, l'Épouse et la Mère.

Je fus fiancée à vingt-trois ans. Il était temps.

Par une grâce, dit-on, assez rare, le surmenagedes études classiques n'avait rien détraqué en moi,la longue attente virginale n'avait pas perverti monimagination. Élevée sans mère depuis l'âge de douzeans, j'étais très simple, très saine, très « nature » :de visage coloré, de caractère gai, de gestes vifs.Mais enfin, il était temps que la certitude d'un prochainmariage vînt secourir la belle patience demon tempérament.

Mon fiancé avait le profil chevaleresque d'unLouis XIII adouci, et sa conversation mettait enpoésie les plus ordinaires circonstances de la vie.J'éprouvais auprès de lui une exaltation heureuse,toute en pensée. Après son départ, je me sentaisalourdie, comme si mon corps même portait aussiune rêverie à bientôt exhaler.


Or mon père mourut subitement de l'issue désastreused'une affaire d'argent.

Je me trouvai, du jour au lendemain, orpheline,pauvre, délaissée, car la poésie de mon fiancé nesurvécut pas à la perte de ma dot. Et je ne pusempêcher ma douleur d'amante d'envahir ma douleurfiliale.


Un seul parent me restait : un oncle, vieil officierretraité, qui, naguère, avait été profondémentindigné de mon succès aux examens du baccalauréatet de la licence ès-lettres. Il consentit rageusementà me recueillir.

Après deux mois de solitude larmoyante, l'inévitableréaction afflua. Je n'avais pas en vain frôlé desi près le mariage : j'éprouvai le besoin de sortir,d'agir, de vivre.

Un soir, au retour d'une promenade séduisante ettriste, commencée lentement, puis raccourcie depas rapides, je prononçai cette inflexible décisionqui devait être la sauvegarde de ma sagesse : « Ilne faut pas que je m'ennuie ». Et je priai mon onclede me chercher d'urgence un emploi dans l'enseignement.

Mon oncle se flattait justement de quelques accointancesau ministère. Il ne tarda pas à rapporterce déplorable renseignement que je ne serais jamaisinstitutrice primaire : toutes les places étaientpromises, plusieurs années à l'avance, et d'ailleursje n'avais pas le diplôme voulu.

— Comprends-tu? me disait-il avec une aigreurqui n'était pas exempte de triomphe, le brevet d'aptitudeà l'enseignement primaire, c'est le brevetélémentaire. L'as-tu? Non. Eh bien, tu collectionneraistous les diplômes de la création : licenciée,doctoresse, agrégée, académicienne et même décorée,tu ne pourrais pas enseigner la grammaire. Çase comprend, pourtant!

Oh! ces bouffées de mépris qui sortaient de sapipe! Ces jets de salive invincibles! Oh! ces regardspratiques, insoutenables, clairs comme le néant, quiincriminaient mon visage nerveux, mes traitsévaporés et tout le chimérique de ma personnemince!

D'autres demandes d'emploi ne rencontrèrent quele vague. L'enseignemen

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