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PREMIER VOLUME1870-1871
1890
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La vérité, que personne ne veut ou n'ose dire, je cherche, de mon vivant,à la dire un rien, en attendant que, vingt ans après ma mort, ce journalla dise tout entière.
Voici donc un premier volume d'une seconde série du JOURNAL DES GONCOURT(1870-1890) racontant le Siège et la Commune. Il sera suivi, si Dieu meprête vie, de deux autres.
Auteuil, juin 1890.
Dimanche 26 juin[1].—Bar-sur-Seine. Les endroits, où il y a de mavie d'autrefois, ne me parlent plus, ne me disent plus rien de neufaujourd'hui,—ils ne font que me faire ressouvenir.
[Note 1: Mon frère était mort à Auteuil, le 20 juin.]
Dans cette maison, où nous avons été toujours deux, par moments, je mesurprends à penser à lui, ainsi que s'il était vivant, ou du moinsj'oublie qu'il est mort; et il y a certains coups de sonnette, qui meremuent sur ma chaise, comme si la sonnette était agitée par les retourshâtés de Jules, jetant, dès la porte, à la domestique: «Où est Edmond?»
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Jeudi 30 juin.—Je suis si malheureux, qu'il y a comme une émotion de lasensibilité de la femme autour de moi. L'aimable lettre que celle deMme***… et l'ineffable tendresse qu'elle m'apporte à travers la personnede Jésus-Christ.
J'ai un souvenir que je ne peux chasser. J'avais un moment imaginé de lefaire jouer au billard. Je voulais le distraire, et ne faisais que lesupplicier. Un jour, où la souffrance sans doute l'empêchait des'appliquer, et qu'il ne faisait que queuter, je lui donnai un petitcoup de queue sur les doigts: «Comme tu es brutal avec moi!» me dit-il.Oh! la note à la fois douce et triste de ce reproche, je l'ai toujoursdans l'oreille.
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3 juillet.—Un récit de guerre. Le capitaine de vaisseau Bourbonnecontait, hier, que dans une batterie de Sébastopol, un canon ayant uneroue qui tournait mal, par suite du recul de la pièce à chaque tir, ilavait commandé à un soldat de marine qui desservait la pièce, de graisserla roue. Il n'y avait pas de graisse là, il fallait en aller chercher. Lesoldat de marine, sans dire un mot, s'empara d'une hache, fendit le crâned'un mort encore chaud, prit sa cervelle dans ses mains, et plaquasimplement la cervelle du mort sur le moyeu de la roue.
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10 juillet.—Nous allons à Juilly pour une adjudication, et nous dînonschez le curé.
Un logis de curé joliment documentaire.
Une petite cour resserrée par un bûcher, aux bûches disparaissant sous lesporte-bougies et les dais en feuilles de chêne artificielles, q