UN EXPLORATEUR BRÉSILIEN
Deux mille kilomètres
de navigation en canot dans un fleuve
inexploré et complètement dominé
par des sauvages féroces
et indomptables
(Extrait du Journal du capitaine de frégate baron de TEFFÉ)
PAR
A l f r e d M A R C
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
PRÉFACE
PAR
M. le vice-amiral JURIEN DE LA GRAVIÈRE
MEMBRE DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES
ET DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
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PARIS
ALCAN-LÉVY, IMPRIMEUR BREVETÉ
24, RUE CHAUCHAT
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1889
Les découvertes maritimes sont faites; les continents seuls gardentencore une partie de leurs secrets. C’est là le champ inexploité quenotre siècle réservait aux explorateurs. Le domaine de l’inconnu serétrécit de jour en jour. L’Afrique, l’Asie, le Nouveau Monde sontattaqués avec une égale ardeur. Les Marco Polo, les Mungo-Park, lesWalter Raleigh ont trouvé des émules. Si l’ardeur de ces intrépides«traverseurs de voies périlleuses» ne se ralentit pas, avant la fin dudix-neuvième siècle la conquête sera complète. La planète n’aura plus demystère et les pionniers suivront de près les découvreurs. Les enjambéessont immenses. Après les Brazza et les Stanley, voici un officierbrésilien qui, pour son coup d’essai, trace à travers l’Amériqueméridionale une percée de deux mille kilomètres. Il arrive à la sourced’un des puissants affluents du plus grand fleuve peut-être qui soit au{vi}monde. Pour connaître les origines du Nil, César se déclarait prêt àlaisser l’Univers à Pompée. Bellum civile relinquam. L’idée serecommande à nos temps troublés. Les découvreurs, en effet, netravaillent pas pour un parti, pour une nation; ils travaillent pourl’humanité. De tous les héros, ce sont ceux qui méritent, à coup sûr, lemieux qu’on les honore.
Il n’y avait plus pour ainsi dire de sauvages. Tous, jusqu’aux noirs duhaut plateau africain, avaient été plus ou moins touchés par lacivilisation. M. le baron de Teffé a pénétré jusqu’au fond de cessolitudes où l’on rencontre encore ce que je me permettrai d’appeler dessauvages vierges. L’homme préhistorique nous apparaît ici tel qu’il adû être avant l’âge de la pierre polie. Ce sont des tribus sans nom quidéfendent leur dernier asile. Les haches leur manquent pour abattre lesarbres: elles les font tomber en découvrant les racines et en y mettantle feu; car le feu, elles le connaissent. Là n’est pas seulement leursupériorité marquée sur les grimpeurs qu’on voudrait leur donner pourancêtres. Elles ont le sens et la possession de l’histoire. Un jour les{vii}enfants que les mères portaient à la mamelle apprendront que des êtrespresque semblables à eux, des êtres surnaturels toutefois, car ilsétaient armés du pouvoir de lancer la foudre, se frayèrent un chemin surce fleuve qui courait avec une rapidité vertigineuse vers la mer. «Ilsvinrent peu nombreux, mais aucun obstacle ne put les arrêter. On jetades arbres d’une rive à l’autre. Ces