L’ÉCOLE DES INDIFFÉRENTS
DU MÊME AUTEUR:
——
PROVINCIALES—Bernard Grasset, Éditeur
JEAN GIRAUDOUX
* * * * *
A PARIS
Chez BERNARD GRASSET, Éditeur
61, RUE DES SAINTS PÈRES
MCMXI
{4}
Il a été tiré de cet ouvrage 3 exemplaires sur Japon Impérial,numérotés de 1 à 3 et 10 exemplaires sur Hollande, numérotés de 4 à13.
TABLE |
J’ai d’abord un ami.
Nous sommes tous deux de grande taille, tous deux blonds. Nous irions dumême pas, dans nos promenades, s’il n’était flâneur et badaud. MaisEtienne voit tout, excepté ce qui est devant lui; je lui ferai commanderdes œillères. Quand un chat ronronne, sur un seuil, dans une fenêtre, illui gratte longuement la tête, il énumère en miaulant ses charmes, maissi à sa vue l’animal voulut fuir, il esquisse les premiers pas d’une{8}poursuite acharnée, pousse des cris, et l’épouvante. Aux chiens,déclare-t-il, il se doit de ne point celer qu’ils sont vraiment troplâches, trop esclaves; il ne se hasarde guère d’ailleurs à les caresser.Pour ses amis les oiseaux, aux boutiques des quais, il leur fait visitecouple par couple. Il félicite l’oiseleur qui dressa son étalage commeune échelle vivante, les poules à la base, les cailles vers le centre,les colibris au sommet. Il caquète:—Rossignols, Rossignols, jamais l’onn’a fait assez remarquer combien peu vous ressemblez aux merles! Etvous, perruches grises, qui courez à reculons, comme les écrevisses,devenez-vous rouges, sous l’Equateur? Rossignols, camarades, ne vousbattez point de la sorte. Croyez-en le petit d’homme; ne vous aveuglezpoint entre vous: La nuit vient tous les soirs.
Un oiseau lui donne l’envie d’aller sans perdre une minute au Brésil ouau Jardin des Plantes, un fruit exotique lui rend insupportable toutproduit que ne cueillirent point des nègres entre les Tropiques etl’Equateur, un chapeau en vitrine lui fait avouer son désir irrésistiblede voir une femme et d’aimer. Or voici que nous dépasse une demoiselle{9}aux yeux verts. Elle a croisé ses mains dans son manchon et porte,comme un collier fermé, au repos, son étreinte. Elle satisfait ledernier vœu d’Etienne, mais ravive impitoyablement les deux autres, carsur son chapeau voisinent un oiseau-mouche et deux belladones géantes.Nous la suivons. Elle disparaît par la première porte cochère, alors quenous espérions l’avoir pour nous seuls au moins jusqu’au prochain coinde rue. Etienne est désespéré. Il l’