R.-L. STEVENSON
— ROMAN —
TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR
E. LA CHESNAIS
PARIS
SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
XV, RVE DE L’ÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN, XV
MCMI
JUSTIFICATION DU TIRAGE :
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Certaine après-midi, vers la fin du printemps, onentendit la cloche de Moat-House, à Tunstall,sonner à une heure inaccoutumée. Au loin etauprès, dans la forêt et dans les champs, le longde la rivière, les gens, quittant leurs travaux, sehâtèrent vers le son, et, dans le hameau de Tunstall,un groupe de pauvres paysans était étonnéde l’appel.
Le hameau de Tunstall à cette époque, sous lerègne de Henri VI, avait à peu près la même apparencequ’aujourd’hui. Une vingtaine de maisonsenviron, lourdement charpentées de chêne, étaientdisséminées dans une longue vallée verdoyante,étagées au-dessus de la rivière. Au pied, la routetraversait un pont, et montant de l’autre côté, disparaissaità la limite de la forêt dans la directionde Moat-House, et, plus loin, de l’abbaye deHolywood. A mi-chemin dans le village se trouvaitl’église, entourée d’ifs. De chaque côté, lestalus étaient couronnés, et la vue bornée par lesormes verts et les chênes sombres de la forêt.
Tout près du pont, il y avait une croix de pierresur un monticule, et c’est là que le groupe s’étaitréuni — une demi-douzaine de femmes et ungrand garçon vêtu d’une blouse rougeâtre — sedemandant ce qu’annonçait la cloche. Une demi-heureavant, un messager avait traversé le villageet bu un pot de bière sans descendre de cheval,tant son message était urgent ; mais il ignoraitlui-même ce qui se passait, et simplement portaitdes lettres scellées de Sir Daniel Brackley à SirOlivier Oates, le prêtre qui gardait Moat-Housependant l’absence du maître.
Mais voici maintenant de nouveau le bruit d’uncheval, et bientôt, sortant de la lisière du bois, etfaisant résonner le pont, galopait maître RichardShelton, le pupille de Sir Daniel. Lui, au moins,saurait quelque chose, et ils l’interpellèrent et luidemandèrent des explications. Il s’arrêta volontiers.C’était un jeune garçon de près de dix-huitans, bruni par le soleil, aux yeux gris, vêtud’une jaquette de peau de daim avec un col develours noir, une toque verte sur la tête, et unarc d’acier sur le dos. Le messager, semblait-il,avait apporté de grandes nouvelles ; une batailleétait imminente ; Sir Daniel avait envoyé l’ordreque tout homme capable de tirer de l’arc ou deporter une hache se rendît en toute hâte à Kettley,sous peine de lui déplaire gravement ; mais, quantà savoir pour qui ou pour quoi on se battait, Dickn’en savait rien. Sir Olivier devait venir bientôtet Bennet Hatch s’armait en ce moment même,car c’était lui qui devait conduire la troupe.
— C’est la ruine de ce bon pays, dit une femme.Si les barons vivent en guerre, les laboureursvont manger des racines.
— Non, dit Dick, tous ceux qui suivront recevrontdouze sols par jour, et les archers vingt-quatre.
— S’ils vivent, ça pourra aller, répliqua lafemme. Mais s’ils meurent, mon maître ?
— Ils ne peuvent mieux mourir que pour leurseigneur naturel, dit Dick.
— Il n’est pas mon seigneur naturel, ditl’homme à la blouse ; j’ai suivi les Walsinghams,comme nous l’avons tous fait, là-bas, au cheminde Brierley, jusqu’il y aura deux ans, vi