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PREMIER VOLUME1851-1861
PARIS, G. CHARPENTIER ET Cie, ÉDITEURS, 11, RUE DE GRENELLE.1887.
Ce journal est notre confession de chaque soir: la confession de deux viesinséparées dans le plaisir, le labeur, la peine, de deux penséesjumelles, de deux esprits recevant du contact des hommes et des choses desimpressions si semblables, si identiques, si homogènes, que cetteconfession peut être considérée comme l'expansion d'un seul moi et d'unseul je.
Dans cette autobiographie, au jour le jour, entrent en scène les gens queles hasards de la vie ont jetés sur le chemin de notre existence. Nous lesavons portraiturés, ces hommes, ces femmes, dans leurs ressemblances dujour et de l'heure, les reprenant au cours de notre journal, lesremontrant plus tard sous des aspects différents, et, selon qu'ilschangeaient et se modifiaient, désirant ne point imiter les faiseurs demémoires qui présentent leurs figures historiques, peintes en bloc etd'une seule pièce, ou peintes avec des couleurs refroidies parl'éloignement et l'enfoncement de la rencontre,—ambitieux, en un mot, dereprésenter l'ondoyante humanité dans sa vérité momentanée.
Quelquefois même, je l'avoue, le changement indiqué chez les personnes quinous furent familières ou chères ne vient-il pas du changement qui s'étaitfait en nous? Cela est possible. Nous ne nous cachons pas d'avoir été descréatures passionnées, nerveuses, maladivement impressionnables, et par làquelquefois injustes. Mais ce que nous pouvons affirmer, c'est que siparfois nous nous exprimons avec l'injustice de la prévention oul'aveuglement de l'antipathie irraisonnée, nous n'avons jamais mentisciemment sur le compte de ceux dont nous parlons.
Donc, notre effort a été de chercher à faire revivre auprès de lapostérité nos contemporains dans leur ressemblance animée, à les fairerevivre par la sténographie ardente d'une conversation, par la surprisephysiologique d'un geste, par ces riens de la passion où se révèle unepersonnalité, par ce je ne sais quoi qui donne l'intensité de la vie,—parla notation enfin d'un peu de cette fièvre qui est le propre del'existence capiteuse de Paris.
Et, dans ce travail qui voulait avant tout faire vivant d'après unressouvenir encore chaud, dans ce travail jeté à la hâte sur le papier etqui n'a pas été toujours relu—vaillent que vaillent la syntaxe au petitbonheur, et le mot qui n'a pas de passeport—nous avons toujours préféréla phrase et l'expression qui émoussaient et académisaient le moins levif de nos sensations, la fierté de nos idées.
Ce journal a été commencé le 2 décembre 1851, jour de la mise en vente denotre premier livre, qui parut le jour du coup d'État.
Le manuscrit tout entier, pour ainsi dire, est écrit par mon frère, sousune dictée à deux: notre mode de travail pour ces Mémoires.
Mon frère mort, regardant notre oeuvre littéraire comme terminée, jeprenais la résolution de cacheter le journal à la date du 20 janvier 1870,aux dernières lignes tracées par sa main. Mais alors j'étais mordu dudésir amer de me raconter à moi-même les derniers mois et la mort dupauvre cher, et presque aussitôt les tragiques événements du si