L'Illustration, No. 3251, 17 Juin 1905
EN AUVERGNE, AVANT LA COURSE
Un chauffeur enreconnaissance sur le parcours des Éliminatoires.
Dessin d'après naturede notre envoyé spécial, L. Sabattier.
L'Académie française compte, depuis quelques jours, un «immortel» deplus. L'élection d'un académicien fait partie de ces menus incidentsdont Paris ne se préoccupe guère et auxquels certaines traditionslittéraires et mondaines exigent pourtant qu'une espèce d'importancedoive paraître s'attacher. C'est une chose à quoi personne n'est obligéde penser, mais dont tout le monde parle et de laquelle même, encertains milieux, il serait presque malséant qu'on ne parlât point. Cen'est pas un souci public; c'est un sujet de conversation.
Le dernier élu s'appelle Etienne Lamy. Dans le monde de jeuneslittérateurs, d'artistes, d'hommes d'affaires et de mondains un peufrivoles où je fréquente, personne ne connaît M. Lamy. Mais je merappelle sa silhouette pour l'avoir entrevue, il y a une dizained'années, très loin du boulevard et de l'Académie,--à Kairouan, où ungroupe d'amis et de parents, en compagnie de qui j'explorais la Tunisie,se trouva mêlé, pendant deux ou trois jours, à une sorte de caravaneofficielle dont M. Etienne Lamy faisait partie. Je me souviens: c'étaitM. René Millet, le résident général d'alors, qui avait organisé cetteexcursion. M. Millet avait eu la bonne idée de faire les honneurs de son«protectorat» à un certain nombre d'hommes distingués de lamétropole--hommes d'État, savants, écrivains, industriels oufinanciers--et d'exposer devant eux le tableau vivant de sespittoresques richesses. Il y avait là M. Gaston Boissier, le géographeVidal de la Blache, des professeurs du Collège de France et de laSorbonne: MM. Rambaud, Oppert, Cagnat, Collignon, Marcel Dubois... M.Etienne Lamy suivait la caravane en invité modeste qui ne tient pas àêtre remarqué. De petite taille, la barbe courte et grisonnante tailléeen pointe, l'oeil souriant sous le verre du binocle, il charmait ceuxqui l'approchaient par la courtoisie parfaite de ses manières et lagrâce de sa conversation. Et j'appris que cet inconnu avait fait, toutjeune, de brillants débuts dans la politique; qu'il s'en était retiré debonne heure et que, sans ambition, il se consacrait à d'austères travauxd'histoire et de littérature. Son plus intime compagnon de voyage étaitun petit homme tout mince, très jeune d'aspect, professeur de droitcriminel à Angers et dont un ou deux romans d'un sentiment aimable etsoigneusement écrits avaient mis le nom, tout récemment, en lumière: ils'appelait René Bazin.
Les deux voyageurs ont fait un joli chemin. M. Bazin est entré àl'Académie; M. Lamy vient de l'y rejoindre. Comment y est-il entré? Enquoi ses mérites ont-ils paru plus dignes de cette haute distinction queles mérites de tant d'autres? C'est ce que personne ne peut m'expliquertrès clairement. Louis Veuillot, dans un petit volume de poésies que lehasard me fit dénicher l'autre jour au fond d'un cabinet de lecture demon quartier, se posait irrespectueusement la même question: Qui me diracomment se fait l'Académie; Pourquoi Pantoufle en est, quand Sabotn'en