ERNEST PSICHARI
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AUBER, 3
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Published November eleventh, nineteen hundred and eight. Privilege ofcopyright in the United States reserved under the Act approved March third,nineteen hundred and five, by Calmann-Lévy.
Mon Commandant,
Les minutes les plus heureuses de la viesont peut-être celles où l’on se souvient desvoyages accomplis et des aventures lointaines.Depuis que nous avons quitté la vieilleterre de l’Afrique, je ne cesse d’évoquer leshorizons entrevus pendant nos dix-huit moisde marche chez les Barbares. A tous ces souvenirs,votre image est mêlée ; elle m’a sanscesse accompagné pendant que j’écrivais celivre que je viens aujourd’hui vous prierd’accepter.
Votre nom n’y est nulle part prononcé ; ildevrait être écrit à toutes les pages. Autantqu’un chef, vous avez été pour moi, pendantces longues randonnées, un père et un amivénéré.
Les heures de la brousse unissent indissolublement.J’évoque maintenant avec uneémotion bienfaisante les pays que nous avonsvus ensemble, la Sangha, les monts sauvagesdu Yadé, et cette claire Penndé où vous vousêtes, avec vos compagnons, avancé le premier.
Et je vous revois aussi aux plus bellesheures de notre misère, quand vous alliezvers votre idée. Je vous revois exactement…Vous aviez les bras nus et bronzés par lesoleil, point de veste, et une vieille culotteeffiloquée comme celle des mendiants deCallot. Derrière les lunettes vos yeux avaientla malice et la douceur de votre Nièvre. Votresourire nous rendait forts et confiants. Etvous marchiez gaiement, comme un bravehomme.
Vous m’avez initié, mon Commandant, àune vie nouvelle, la vie rude et primitivede l’Afrique. Vous m’avez appris à aimercette terre de héros que vous parcourez sanstrêve depuis près de quinze ans. Je vous doisd’avoir donné à ma vie sa raison et sonbut.
Je me rappellerai toujours l’impressionprofonde que me fit une phrase de votre livresur la grande route que vous avez trouvéevers le Tchad en 1903. Vous racontez votrearrivée dans le Logone :
« Je ne saurais dépeindre, dites-vous, lajoie immense qui s’empara de nous tous, quelsoupir de satisfaction s’exhala de nos poitrines !C’était bien le Logone ; c’était labelle rivière, but de nos efforts, que depuisdeux mois j’entrevoyais dans un rêve… Ilnous semble que nous sommes arrivés làsubitement, sans efforts ; car la joie nousfait oublier les souffrances passées… Ainsinous avons tourné nos regards et nos penséesvers un seul idéal, nous avons vécu de longsjours pour un seul but et voici que la forceinéluctable de nos volontés nous a conduitsvers cet idéal, vers ce but… »
De telles lignes sont capables de susciterdans un cœur juvénile les plus hautes penséeset les plus purs élans. Pour moi, elles m’ontconduit dans des sentiers nouveaux, vers dela beauté et de la noblesse.
Les pages qui suivent ne disent rien dugrand labeur que vous venez d’accomplir dansce dernier voyage. Modestement et patiemment,vous avez pénétré de vierges latitudes ;pendant des mois, vous avez marché sous descieux nouveaux, sur ce petit carré blanc quifigurait avant vous sur nos cartes entre leLogone et le Char