Une foule immense était rassemblée sur la Grève;elle allait assister au départ de la grande processionorganisée pour porter au roi Henri III les doléancesde la bonne ville de Paris.
Pour la grande majorité des Parisiens, il s'agissaitde réconcilier le roi avec sa capitale.
Pour une autre catégorie, moins nombreuse et initiéeà certains projets de Mgr de Guise, il s'agissaitd'imposer à Henri III une terreur salutaire et d'obtenirde lui, moyennant la soumission de Paris et sonrepentir de la journée des Barricades, une guerre àoutrance contre les huguenots, c'est-à-dire leur extermination.
Pour une troisième catégorie, il s'agissait de s'emparerdu roi et de le déposer après l'avoir préalablementtondu.
Enfin, pour une quatrième catégorie, réduite à unedouzaine d'initiés, il s'agissait de tuer Henri III.
Non seulement la Grève était noire de monde, maisencore les rues avoisinantes regorgeaient de bourgeoisqui, la pertuisane d'une main, un cierge de l'autre,se disposaient à processionner jusqu'à Chartres.
Le voyage à Chartres, en tenant compte des lenteursd'un pareil exode, devait durer quatre jours.Le duc de Guise avait fait crier qu'il avait disposétrois gîtes d'étape le long du chemin, et qu'à chacunde ces gîtes on tuerait cinquante boeufs et deux centsmoutons pour nourrir le peuple en marche.
Ce jour-là, donc, vers huit heures du matin, les clochesdes paroisses de Paris se mirent à carillonner.Sur la place de Grève vinrent se ranger, successivement,les délégués de l'Hôtel de Ville, les représentantsdes diverses églises, puis les confréries, les théoriesde moines tels que feuillants, capucins, et enfinles Pénitents blancs.
Parmi les files interminables de cierges et d'arquebuses,on vit dans cette procession des choses magnifiques.D'abord les douze apôtres en personne,revêtus d'habillements tels qu'on en portait du tempsde Jésus-Christ, et quelques soldats romains portantles instruments de supplice de Jésus-Christ.
En effet, Jésus-Christ lui-même était représenté parHenri de Bouchage, duc de Joyeuse, lequel avait prisl'habit de capucin sous le nom de frère Ange, et devaitplus tard rejeter le froc pour guerroyer, puisrentrer encore en religion.
Le duc de Joyeuse, donc, ou frère Ange, comme onvoudra, portait sur ses épaules une croix qui, parbonheur, était en carton; sur sa tête, une couronned'épines également en carton peint, et autour du cou,par un bizarre anachronisme, le chapelet des ligueurs.
Derrière Joyeuse, déguisé en Christ, venaient deuxgrands gaillards qui le fouettaient ou faisaient semblantde le fouetter, ce qui soulevait dans la fouledes cris d'indignation. Et cette indignation, vraie oufeinte, prenait des proportions de rage lorsque, parun anachronisme plus bizarre encore (mais on n'yregardait pas de si près), les deux flagellants, tousles quinze ou vingt pas, s'écriaient:
—C'est ainsi que les huguenots ont traité Notre-SeigneurJésus!
—Mort aux parpaillots! reprenait la foule.
A une vingtaine de pas derrière Jésus, ou frèreAnge, ou duc de Joyeuse, marchaient, côte à côte,quatre pénitents qui, se tenant par le bras, tête baissée,capuchon sur le visage, se faisaient remarquerpar leurs énormes chapelets et par leur piété extraordinaire.Peu à peu, le désordre s'étant mis dansles rangs de la procession, ces quatre pénitents finirentpar se trouver derrière Jésus au moment oùcelui-ci, d'une voix retentissante, criait:
«Mes frères, mort aux huguenots qui m'ont flagellé!...»
Une acclamation salua ces paroles du Christ qui,ayant