EUGÈNE LE ROY

JACQUOU LE CROQUANT

PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
3, RUE AUBER, 3

Droits de reproduction et de traductionréservés pour tous les pays,y compris la Suède, la Norvège et la Hollande.

PARIS.—IMPRIMERIE CHAIX.—9272-5-99.—(Encre Lorilleux).

JACQUOU LE CROQUANT

A mon ami Alcide Dusolier.

I

Le plus loin dont il me souvienne, c'est 1815,l'année que les étrangers vinrent à Paris, et oùNapoléon, appelé par les messieurs du châteaude l'Herm «l'ogre de Corse», fut envoyé àSainte-Hélène, par delà les mers. En ce temps-là,les miens étaient métayers à Combenègre,mauvais domaine du marquis de Nansac, surla lisière de la Forêt Barade, dans le hautPérigord. C'était le soir de Noël; assis sur unpetit banc dans le coin de l'âtre, j'attendaisl'heure de partir pour aller à la messe de minuitdans la chapelle du château, et il me tardaitfort qu'il fût temps. Ma mère, qui filait saquenouille de chanvre devant le feu, me faisaitprendre patience à grand'peine en me disantdes contes. Elle se leva enfin, alla sur le pasde la porte, regarda les étoiles au ciel et revintaussitôt:

—Il est l'heure, dit-elle, va, mon drole[1];laisse-moi arranger le feu pour quand nous reviendrons.

[1] Drole qui, dans le parler du Périgord, signifie garçon,fille:—«un drole, une drole»,—s'écrit sans accent circonflexesur l'o.

Et aussitôt, allant quérir dans le fournil unesouche de noyer gardée à l'exprès, elle la mitsur les landiers et l'arrangea avec des tisons etdes copeaux.

Cela fait, elle m'entortilla dans un mauvaisfichu de laine qu'elle noua par derrière, enfonçamon bonnet tricoté sur mes oreilles, et passa dela braise dans mes sabots. Enfin ayant pris sacapuce de bure, elle alluma le falot aux vitresnoircies par la fumée de l'huile, souffla le chalelpendu dans la cheminée, et, étant sortis, ferma laporte au verrou en dedans au moyen de la clef-tortequ'elle cacha ensuite dans un trou du mur:

—Ton père la trouvera là, mais qu'il revienne.

Le temps était gris, comme lorsqu'il va neiger,le froid noir et la terre gelée. Je marchais prèsde ma mère qui me tenait par la main, forçantmes petites jambes de sept ans par grande hâted'arriver, car la pauvre femme, elle, mesuraitson pas sur le mien. C'est que j'avais tant ouïparler à notre voisine la Mïon de Puymaigre,de la crèche faite tous les ans dans la chapellede l'Herm par les demoiselles de Nansac, qu'ilme tardait de voir tout ce qu'elle en racontait.Nos sabots sonnaient fort sur le chemin durci,à peine marqué dans la lande grise et bien faiblementéclairé par le falot que portait ma mère.Après avoir marché un quart d'heure déjà, voicique nous entrons dans un grand chemin pierreuxappelé lou cami ferrat, c'est-à-dire le cheminferré, qui suivait le bas des grands coteauxpelés des Grillières. Au loin, sur la cime destermes et dans les chemins, on voyait se mouvoircomme des feux follets les falots des gensqui allaient à la messe de minuit, ou les lumièresportées par les garçons courant la campagneen chantant une antique chanson de nospères, les Gaulois, qui se peut translater ainsi dupatois:

Nous sommes arrivés,
Nous sommes arrivés,
A la porte des rics, (chefs)
Dame, donnez-nous l'étrenne du gui!…
...

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