Préface par George Sand
Considérations sur Werther, et en général sur la poésie de notre époque,
par Pierre Leroux
Werther
L'Éditeur au Lecteur
C'est une chose infiniment précieuse que le livre d'un homme de génietraduit dans une autre langue par un autre homme de génie. Que nedonnerait-on pas pour lire tous les chefs-d'œuvre étrangers traduitsainsi! C'est lorsque de grands écrivains ne dédaigneront pas une sinoble tâche, que nous posséderons véritablement l'esprit desmaîtres, et que nous participerons au génie des autres nations.
C'est que, pour traduire une œuvre capitale, il faut la juger, lasentir profondément. Pour le faire d'une manière complète, ilfaudrait presque être l'égal de celui qui l'a créée. Quelle idéepouvons-nous donc nous former de Shakespeare, de Dante, de Byron ou deGœthe, si leurs ouvrages nous sont expliqués par des écoliers ou desmanœuvres?
Plusieurs traductions de Werther nous avaient passé sous les yeux, etce livre sublime nous était tombé des mains. Avec grand effort deconscience, et en nous condamnant, pour ainsi dire, à reprendre cettelecture à bâtons rompus, nous avions réussi à nous faire l'idée decette pure conception et de ce plan admirable; mais la force, laclarté, la rapidité et la chaude couleur du style nous échappaientabsolument. Nous disions avec les autres: C'est peut-être beau enallemand; mais la beauté du style germanique est apparemmentintraduisible, et ce mélange d'emphase obscure ou de puérile naïvetéchoque notre goût et rebute l'exigence de notre logique française.Nous sommes donc bien heureux qu'une grande intelligence ait puconsacrer quelque loisir de jeunesse à écrire Werther en bon et beaufrançais; car nous lui devons une des plus grandes jouissances de notreesprit.
En effet, nous le savons maintenant, Werther est un chef-d'œuvre, etlà, comme partout, Gœthe est aussi grand comme écrivain que commepenseur. Quelle netteté, quel mouvement, quelle chaleur dans sonexpression! Comme il peint à grands traits, comme il raconte avec feu!Comme il est clair, surtout, lui à qui nous nous étions avisés dereprocher d'être diffus, vague et inintelligible! Grâce à Dieu,depuis quelques années, nous avons enfin des traductionstrès-soignées de ses principaux ouvrages, et le WERTHERparticulièrement est désormais aussi attachant à la lecture, dansnotre langue, que si Gœthe l'eût écrit lui-même en français.
La préface de M. Leroux est un morceau d'une trop grande importancephilosophique, les questions de fond y sont traitées d'une manièretrop complète, pour que nous puissions rien ajouter à son jugement surla littérature du dix-huitième et du dix-neuvième siècle. Nous nousbornerons à exprimer brièvement notre admiration personnelle pour leroman de Werther, en tant qu'œuvre d'art, et en tant que forme.
Il n'appartenait qu'à un génie du premier ordre d'exciter et desatisfaire tant d'intérêt dans un roman qu'on lit en de