Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.
UNE
MALADIE MORALE
LE MAL DU SIÈCLE
PAR
PAUL CHARPENTIER
SUBSTITUT AU TRIBUNAL DE LA SEINE
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES AUGUSTINS, 35
1880
A LA MÉMOIRE DE MON PÈRE
J.-P. CHARPENTIER
INSPECTEUR DE L'ACADÉMIE DE PARIS, AGRÉGÉ DE LA FACULTÉ DES LETTRES.
Parmi les traits les plus saillants de nos mœurs,il en est un qui ne peut, ce semble, échapper àpersonne: je veux dire un penchant très prononcépour les jouissances; et j'ajoute, surtout pour cellesde l'ordre matériel. Sans examiner ici si une pareilledisposition était restée jusqu'à présent inconnue,il est permis d'affirmer que, de nos jours, et parminous, elle se manifeste avec évidence. Dès le milieude ce siècle, et même un peu avant, la France adonné des preuves multiples de la considération danslaquelle elle tenait les biens de ce monde. On y avu la richesse, les grandeurs, les plaisirs, le bien-êtresous toutes les formes, poursuivis avec âpreté,quelquefois avec cynisme. Ces ardeurs se sont traduitesdans des faits bien connus, dont quelques-unsn'ont eu que trop d'éclat; elles se sont exprimées 8aussi, dans les arts, dans la littérature, par desproductions qu'on n'a point oubliées. Non que laFrance tout entière ait sacrifié à ces passions; grâceà Dieu, elle n'a jamais perdu la tradition des grandsdévouements et des œuvres élevées. Mais il certainque, depuis un certain nombre d'années, nous n'avonspoint, en général, montré un détachement exagéréde toutes choses, et qu'on ne peut nous reprocherd'avoir estimé au-dessous de sa véritable valeur leprix de la vie.
Cependant, dans ces derniers temps, s'est produitun mouvement simultané, directement opposé à cettetendance pratique. Une philosophie qui a reçu ladénomination de pessimiste, s'est donnée à tâchede démontrer que le bonheur si vivement convoitén'était qu'un rêve, que la vie n'avait et ne pouvaitjamais avoir pour l'homme que de cruelles déceptions;en un mot, que tout était pour le plus mal dans lepire des mondes possibles. Cette philosophie, dontle premier germe paraît avoir été naguère transmispar l'Italie à l'Allemagne et que l'Allemagne a grossieet corroborée par de laborieuses élucubrations,recueille aujourd'hui en France une certaine faveuret acquiert une importance croissante. Des travauxnombreux, plusieurs tout récents, lui ont été consacrés,qui lors même qu'ils s'efforcent de la réfuter,n'en ont pas moins pour effet de familiariser leslecteurs avec une doctrine d